Chaud devant et froid piquant
Voici que, dans l’intimité de nos jardins, l’automne et l’hiver se sont donné la main.
Voici une évidence aujourd’hui pour le jardinier : le changement du climat fait son œuvre, incontestablement. Côté paradis, c’est pain bénit : la vigne lourde de raisins mûrs deux à trois semaines avant ses habitudes, et des haricots verts plein le panier après la Toussaint. Du jamais vu sous le climat breton du nord de la Loire ! Merci à toi, merveilleux saint de nos jardins, en cette abondance d’exaucer notre prière. À côté, hélas, le diable qui est son frère a ouvert les portes de l’enfer. Au milieu de l’automne, les poireaux subitement se sont couchés, à genoux pliés. Parasités tout du long, rongés de tout leur tronc par un petit scarabée rouge, larve d’un papillon porté par les airs chauds. L’apparition de ce parasite date de quelques années seulement. Mais cet automne, le vol s’est prolongé d’un bon mois. Or, le filet qui devait les protéger fut retiré trop rapidement, exposant nu notre légume aux ravages du prédateur. Conséquence : vite manger nos chères liliacées1 avant qu’elles ne soient totalement digérées par cette terrible « mineuse »2.
Inquiétant, car bientôt nos jardins en culture biologique devront se couvrir presque entièrement de préservatifs, ces voiles protecteurs qui heureusement quand même, évitent les traitements de la chimie. C’est dommage pour l’esthétique des lieux et regrettable pour la surveillance visuelle de nos protégées. Cette proximité intime avec nos amies fleurs et légumes s’en trouve occultée et c’est une frustration pour le jardinier aussi que pour la plante elle-même, qui est comme emprisonnée. Grave, cette obligation de tout encapuchonner qui, à terme, risque de mettre sous cloche toute l’humanité. Car la nature peine à se rééquilibrer d’emblée, face à toutes les brutalités qui lui sont imposées.
Serait-il préférable d’être inconscient ou indifférent à toutes ces choses inquiétantes et désolantes pour, malgré tout, vivre en paix ? Espérons alors, et c’est déjà vrai, que de nouvelles trouvailles de protection biologiques et naturelles puissent venir au secours d’une prédation incontrôlable telle qu’elle se manifeste aujourd’hui. De cela, nous sommes tous responsables. C’est ainsi, et là sont nos espoirs, que certains chercheurs proposent d’autres solutions.3
|
Feuilles au vent et vers des champs
L’équivalent de 150 brouettées de feuilles (hêtre, chêne, pommiers, tilleuls, etc.) à l’exception du châtaignier (trop impactant) vient progressivement recouvrir le jardin sur 30 cm d’épaisseur. Elles sont déposées là où ni légumes ni engrais verts n’habitent déjà. Ce couvert végétal et organique va protéger la terre des intempéries et en même temps empêcher les herbes folles d’envahir le territoire. Je préfère les feuilles à la paille qui se tasse sur le sol et entretient trop l’habitat préféré des mulots et des limaces. Au printemps, un coup de griffe suffira à remettre le terrain en état de semis et plantations. Vers mai-juin, la terre aura tout digéré. « D’une pierre deux coups »4, le ramassage des feuilles libère les pâtures sous les fruitiers afin que l’herbe puisse être broutée par les poules (oui !) et les moutons.
Ainsi, repos bien mérité, « coucher » le jardin clôt à l’automne, installe l’hiver et prépare déjà le printemps. Car, en n’importe quel moment de l’année, toute attention du jardinier pour son potager sera profitable à la saison suivante et à tout le cycle saisonnier. D’autant plus que les vers de terre pouvant danser sous la feuillée, l’humus se gonflera d’espoir pour les semis printaniers.
Prudence toutefois avec les clandestins oxalis5 dont les racines, refusant de dormir sous les couvertures, continuent de courir leurs petites aventures. Ces jolies immigrées viennent des jardineries professionnelles et, à notre insu et par imprudence, se promènent de manière très et trop envahissante parmi nos plantations. Mieux vaut donc les arrêter et pour cela, en fin d’été, les arracher. Évitons de les composter, car elles résistent, mais portons-les sur le bûcher afin d’être brûlées. Ainsi que les bien connus chiendents et liserons très insistants, elles finiront par abandonner, évitant un véritable casse-tête pour la meilleure des binettes !
Depuis novembre, les chicons d’endives déterrés, effeuillés et remis en tombe vers octobre sont désormais prêts à la consommation. Ils relaient la mâche jusqu’aux prochaines laitues. Les mulots s’en régalent. Afin de les écarter, un coup de pioche, non sur la bête, mais autour des endives, cassera les galeries qui les conduisent aux racines. Il reste à prévenir les premières glaces en couvrant les radis noirs de cartons bâchés jusqu’au dégel. En Bretagne, c’est au pire trois nuits par an, mais pour tout perdre, c’est suffisant. À zéro degré, c’est le coup de grâce pour les capucines, réduites à l’état de moquette, d’où ressusciteront d’adorables capucinettes enracinées dans la terre de leurs ancêtres.
Les hampes défleuries des plantes-médecines, trop raides pour le compost, iront rejoindre l’autel du prochain feu sacré d’un certain Imbolc6 de février.
À votre terre bien-aimée,
Je dis bonne année.
Daniel Testard
www.sacreschants.com
1 « Liliacée » : famille botanique du poireau, tulipe, oignon, lys, muguet, etc.
2 « Mineuse » : nom populaire d’une petite mouche (3 mm) scientifiquement appelée « Napomyza gymnostoma » dont la larve creuse des sillons dans la tige du poireau. Elle est apparue en Alsace en 2003 et en Bretagne vers 2015. Son vol est tardif (septembre et octobre).
3 Solutions telles que les huiles essentielles (fongicides) ou la lutte intégrée par l’élevage de prédateurs naturels comme les coccinelles, les guêpes et les acariens.
4 Expression signifiant la double fonction d’un même geste.
5 « Oxalis » : sorte de petit trèfle, mais d’une autre famille botanique (celle des polygonacées) dont l’oseille. L’oxalis est originaire d’Amérique du Nord.
6 « Imbolc » : fête celtique de la purification et du retour de la lumière. Elle est célébrée dans la nuit du 1er au 2 février et correspond à la « Chandeleur » des Chrétiens.